Aujourd’hui ceux que l’on porte n°6/366

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Aujourd’hui, en entrant dans un magasin, j’ai lu :
« Parents, surveillez vos enfants, vous en êtes responsables ».
Plutôt que d’opérer un pivot rapide…de proposer un cours de droit…je dis simplement MERCI.
Merci pour l’inutile rappel d’une évidence que je pratique:
-contre le froid, les maladies, le soleil, les chutes, les angoisses, les insomnies, le vent, la pluie, la vie, le jour, la nuit…
-dans vos échoppes où les promotions (écrans plats, verres en cristal…choses fragiles de préférence) sont exposées à portée de ma responsabilité.
MERCI de me rappeler ceux que j’ai portés, que je porte et porterai toujours…

366 réels à prise rapide proposés par Raymond QUENEAU

1- Ecrit sur le vif : non, j’avais trop de choses à dire, j’ai dû élaguer…

2- Moins de 100 mots : 99 mots

3- Elément réel : ok

Exercices de style consistant en l’écriture d’un texte, chaque jour, selon un thème imposé. Le texte, de moins de 100 mots doit être écrit sur le vif et en rapport avec des évènements réels de la journée.

Détresse maternelle (épisode 5 ou La paresse de la main droite)

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Ma main droite est paresseuse, ces derniers temps.
Manque d’inspiration ? Manque d’énergie ? Voici quelques jours que ma main droite est paresseuse. Et comme je suis droitière, cela me pose des petits problèmes. Evidemment, si j’étais gauchère, je ne remarquerais même pas les sautes d’humeur de ma main droite. Elle n’arrête pas de me prendre la tête. Sa tête est la mienne, me direz-vous…Et bien, je commence à me poser de sérieuses questions à ce sujet.
Je voulais écrire… Malgré ses réticences, j’ai mis la main à la pâte.
J’ai voulu écrire sur les violences ordinaires éducatives, un débat battant son plein (ou tombant à plat) sur l’interdiction de la fessée. Interdiction que ma fille de bientôt 3 ans, soit dit en passant, accueillerait en frappant des deux mains. Ce n’est pas que j’ai la main lourde mais les caprices de ma tendre enfant, chair de ma chair, sang de mon sang , gagnent du terrain haut la main. J’ai lu un peu ici et là des articles sur l’interdiction de la fessée.
Et j’ai lu quelque part que, selon une pédopsychiatre, l’interdiction de la fessée enlèverait les racines de la violence sociale…
J’ai ri d’abord.
J’ai regardé ma fille jouant et hennissant avec ses poneys miniatures…
J’ai ri encore.
J’ai pensé au pillage irakien…

J’ai pensé aux suicides des enfants victimes d’ harcèlement scolaire…

J’ai pensé aux camps de la mort de la seconde guerre mondiale…

J’ai interrompu ma fille dans son jeu.
Note pour les puristes, je n’ai pas retranscrit la diction de ma fille pour rendre la lecture plus facile.
« -Chéri, ca te dit si l’on faisait un marché toutes les deux ?
-Oui, on va faire des courses.
-Pas « supermarché » mais un « marché ». Bon, je te promets d’arrêter quelque chose et toi, tu me promets aussi d’arrêter quelque chose… »
-Oui, c’est quoi ?
-Je te promets de ne plus te donner de tape sur les fesses si tu promets de m’obéir.
– D’accord. »
Dans ce dialogue, ma fille est très coopérative, mais je pense qu’elle était effectivement persuadée que je lui proposais de faire quelques courses… Tellement persuadée que je me suis retrouvée devant le rayon « Bonbons, sucreries, et autres chocolats » de mon supermarché préféré environ 15 minutes plus tard…

Avant, il était courant de donner une fessée à un enfant pour son bien. Aujourd’hui, il est tendance de ne pas donner de fessée pour le bien de l’humanité.

Cette idée me laisse une sensation étrange…

Mais, de toute façon, ma main droite est paresseuse ces derniers temps…Et mes enfants ne m’obéissent pas pour autant…

©Emilie BERD 07/03/2015

Une journée de ski

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Il était 7h00. Le réveil n’avait pas encore sonné mais elle ne dormait plus depuis longtemps déjà. Elle était habituée à ces heures un peu étranges entre l’insomnie et la grasse matinée. La lucidité la prenait vers 4h00 et la liste des choses à faire, les conversations imaginaires s’égrenaient jusqu’à 7h00. Une sorte de récitation incantatoire afin d’éliminer les ondes néfastes, d’éloigner les mauvais esprits.

De toute façon, elle n’y pouvait pas grand chose. Elle faisait avec…
Les somnifères la transformaient en zombie…Ils l’aidaient à dormir sans doute, mais la journée suivante, elle retrouvait le sel dans le frigo, les clefs de voiture dans le tiroir à couverts, un gilet dans la poubelle. Alors, elle faisait sans…
Et puis, 4h00, ça allait encore. L’insupportable, c’était lorsque, sans raison apparente, la conscience surgissait plus tôt…à 2h00…Passer cinq heures à ressasser…Quel ennui.
Souvent, ces matins-là, après 5 heures de chants intérieurs, des feux follets commençaient à danser devant ses yeux fermés. Des courbes incandescentes se dessinaient derrière ses paupières soudain devenues lourdes. L’instant magique où le rêve s’ébauchait dans la toile électrique de ses synapses. Et tandis que le voile tombait, elle partait naviguer au loin…au moment de se lever… C’était d’un commun ! Mais c’était dimanche, ce matin.

« – ça va ? »
Son mari était réveillé, lui aussi. Il avait prévu de partir avec les enfants pour une journée de ski. Départ prévu à 8h00. Il se leva rapidement, s’ensuivit un branle-bas de combat rythmé par le choc des cuillères contre les bols de céréales, le chuintement assourdissant des combinaisons de ski et les gloussements des enfants électrisés par la perspective d’une belle journée.
« – Tu pourras rentrer quelques bûches de bois, avant de partir. »
Il avala une dernière gorgée de café et s’exécuta.
A 7h50, ils étaient partis. Elle avait entendu le coffre de la voiture se refermer sur les 3 paires de ski, les casques et les sandwichs qu’il avait attentivement préparés la veille. Puis le moteur de la voiture…Puis le silence…
Elle s’était levée pour tous les embrasser. Elle avait hésité, mais une pensée sordide avait traversé son corps et l’avait littéralement dressée sur ses pieds.
« – Tu m’enverras un message à votre arrivée ?
– Dans la benne ?
– Quand vous serez arrivé.
– Ok »
Elle était retournée au chaud sous la couette en attendant que sa puce l’appelle, elle qui, au premier étage, dormait comme un bébé. Et sa puce l’avait sortie du lit.

La matinée s’était déroulée sans rien d’exceptionnel : lectures d’histoire, dessins animés, coloriages, comptines. Les rayons du soleil transperçaient la pièce principale. Elle pensa que c’était une merveilleuse journée pour descendre à toute allure les pistes enneigées. Ils devaient être contents, tellement contents. Vers quelle station étaient-ils partis, déjà ? Elle ne s’en souvenait plus. Elle, séparée d’eux…Elle sortit la table à repasser pour chasser toute suite à ce début de phrase. Après le repassage, elle se sentait mieux. Elle avait fait quelque chose pour demain.

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Ensuite, s’était enchaînée une série de luttes avec la petite: pour qu’elle enfile ses habits, pour qu’elle termine son repas, pour qu’elle fasse la sieste…

Une fois qu’elle l’eut couchée dans sa chambre, elle s’assit sur le canapé et prit machinalement son téléphone portable. Il était 15h00. Aucun message.
Il avait probablement oublié…Il ne se doutait pas à quel point ces messages, contraignants pour lui certes, la rassuraient. Il avait probablement oublié.
Elle essaya de le joindre, elle tomba directement sur le répondeur. Elle hésita à laisser un message. Peut-être n’avait-il pas senti le vibreur de son téléphone dans sa poche? Peut-être n’avait-il pas de réseau ? Peut-être n’avait-il plus de batterie ?

Elle voulut penser à autre chose. Elle alluma le poste de télévision, exécuta un zapping rapide. Ce n’était pas fameux…Un dimanche après-midi… Un vent glacé soufflait dehors. Le bois qu’il avait ramené tôt ce matin brûlait dans la cheminée. Le soleil brillait toujours.

Elle éteignit le poste de télévision. Elle prit un livre, mais les lignes et les pages défilaient sans aucun sens. Elle voulait en avoir le coeur net ! Elle saisit son téléphone et essaya de le joindre à nouveau. Encore le répondeur ! Cette fois-ci, elle laissa un message : «Coucou, c’est moi. Je voulais juste avoir des nouvelles. J’espère que vous vous éclatez ! Je t’aime ». Il était 16h00 passées.

Il allait sûrement la rappeler dans quelques minutes. Il n’avait pas entendu son appel, filant librement sur les pentes, plaisantant avec ses enfants ou se réhydratant à l’occasion d’une pause. Il n’avait pas entendu son appel, consolant sa fille d’une mauvaise chute, godillant rapidement pour rattraper son fils trop exalté pour s’arrêter…
Pourtant, si elle était tombée directement sur le répondeur, c’est que le téléphone de son mari était coupé…A moins qu’il était déjà en cours d’appel…Qui pouvait-il bien appeler un dimanche après-midi en pleine session de ski ? Sa mère ? Les secours ?

Un de ses enfants était peut-être blessé. Il ne l’avait pas encore prévenu parce qu’il était trop préoccupé…Il attendait l’avis des médecins aux urgences… Il craignait sa réaction.
A son appel, elle partirait sans attendre. Elle réveillerait la petite qui hurlerait évidemment, elle ne comprendrait pas. Elle devrait penser à prendre quelques biscuits et de l’eau. Dans les hôpitaux, rien n’était prévu pour les enfants accompagnants, attendant, assoiffés et affamés, des heures durant que l’on fixe le sort d’un des membres de leur famille. Ne pas oublier les biscuits et l’eau…

Etait-ce lui qui s’était blessé ? Avait-il son numéro sur lui ? Comment saurait-elle ? Ses enfants ne connaissaient pas son numéro de téléphone. Il faudrait prendre le temps de leur apprendre, leur faire réciter, plusieurs fois, pour éviter de l’oublier dans un moment de panique…Comment saurait-elle ?
Tout lui revint d’un coup. Leur rencontre sur Les Champs Elysées, les pubs enfumés, les disputes, les voyages, la belle famille, le mariage, le 1er enfant, le 2e enfant, le 3e enfant et son départ ce matin.
Lui avait-elle assez dit qu’elle l’aimait ? Il avait raté un virage ou était-ce à cause du verglas?
Il faudrait joindre toute la famille…

Elle sursauta. La clef tourna dans la serrure et la porte s’ouvrit ! Elle se dit alors qu’il fallait vraiment qu’elle dorme un peu plus.

© Emilie BERD 08-02-2015

Détresse maternelle (épisode 2)

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Cela fait aujourd’hui 19 jours que les « évènements » au cours desquels 17 personnes      « ont disparu » ont eu lieu… Les « évènements »… « ont disparu ».
Entre autres choses, la langue française a aussi ça de chic : les euphémismes.
Très pratiques, les euphémismes ! Le politiquement correct à l’heure des débats électoraux, le principe de précaution verbal, l’auto-censure au goût de liberté…ou comment édulcorer par quelques mots la brutale réalité…
Selon le Larousse Junior 2013, l’euphémisme se définit comme une : « expression que l’on emploie à la place d’une autre que l’on juge trop direct ». La version adulte de la définition indique un adoucissement d’une expression trop crue, trop choquante…

Je fonde mon travail de tous les jours, ma préoccupation permanente, mon inquiétude viscérale (l’éducation de mes enfants, hein!) sur l’esprit critique.
En pêle-mêle, dans le désordre, voilà quelques petits indices (liste non exhaustive !!) que l’on glisse pour encourager le raisonnement :
– Eviter les conclusions trop rapides,
– Réfléchir aux multiples vérités qui coexistent souvent,
– Ne pas s’arrêter aux apparences trop trompeuses,
– Sortir des clichés trop faciles,
– Se méfier des comportements  linéaires et conformistes.
Bref, malgré les discussions sans fin et les répliques frôlant l’insolence, en dépit des migraines et des dépenses massives en antalgiques que cela occasionne, leur apprendre à penser… (Et oui, parce que penser, ça s’apprend…)
La pensée, ce super pouvoir qui porte l’imaginaire jusqu’au plus profond respect de l’autre, jusqu’aux plus grandes prouesses techniques…
La pensée pour grandir, la pensée pour s’adapter, la pensée pour être…

Mais, alors quoi ?
Me serai-je donc trompée ? Des questions nouvelles troublent mon esprit.
« Oh Capitaine ! Mon capitaine ! »(1)
Me suis-je assoupie ? Ai-je raté quelque chose d’important ?
Dois-je enseigner dorénavant la censure, la paranoïa, la dénonciation en ligne de conduite?
Dois-je éteindre les lumières pour vivre dans la peur du noir ?
Dois-je oublier Voltaire… mes prés verts… et tout ce qui me fait, parce que désormais c’est trop ?
Faut-il élever les enfants dans ce monde putride et nauséabond en leur « cachant la vérité» parce que les adultes préfèrent les euphémismes ?

Cela fait aujourd’hui 19 jours que les « évènements » au cours desquels 17 personnes     « ont disparu » ont eu lieu… Le doute ne tue pas, l’ignorance si !

(1) Walt Whitman « O Captain ! My Captain!” Leaves of Grass
©Emilie BERD 26/01/2015