LE MICROSCOPE

Au centre du laboratoire froid et blanc, trônait un microscope. Devant lui, le dos des hommes se courbait, leurs yeux s’écarquillaient et tous les jours, sans sourciller, il leur ouvrait les portes de son royaume.

Mais, à regarder les choses d’un peu plus près, il avait tendance à tout prendre de haut ! Personne ne restait indifférent, lorsqu’on se penchait sur lui. Il avait toutefois du mal à comprendre les réactions qu’il provoquait, puisque, même sans effort, ses effets étaient énormes !
Au départ, il avait accueilli les soupirs et les cris de joie, avec humilité. Puis, les contacts augmentant, son orgueil grossissait à vue d’œil !

« – Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, avait-il dit un jour à son condenseur. C’est absurde, ils transforment des cas si simples en phénomènes abscons.
Vexe-toi et on finira à la cave, l’avait prévenu son ami de toujours, Prends garde de ne pas te perdre en considérations existentielles ! »
Ai-je une seule fois manqué à l’appel ? Ai-je déjà loupé quelque chose ? Pourquoi ne pourrai-je pas regarder vers le ciel ? »

Car,  il voyait grand, ce microscope. Il avait souvent la tête dans les nuages…S’y télescopaient le soleil, la voie lactée, le cosmos… Il voulait les voir, les apprendre, les découvrir…

Un jour, il convoqua son monde, des Pinces jusqu’aux Valets, pour trouver une issue et sortir enfin de ces cellules. Pourtant, malgré une mobilisation bien affirmée et une analyse à toute épreuve, aucune suggestion ne permettait la résolution de ce problème.
Le diaphragme s’était essoufflé dans un discours alambiqué, qui ne se termina que grâce à une mise au point musclée. Il se tut non sans avoir menacé l’assistance « Vous ne manquez pas d’air ! Je me plaindrai ! J’ai des témoins oculaires ! ».
La platine, complètement butée, répéta le même refrain pendant toute la séance, exaspérant la crémaillère qui faisait savoir à qui voulait l’entendre qu’elle était « à ça de se pendre » ! L’ampoule elle-même n’avait pas tellement brillé…
La conclusion était limpide, il n’arriverait à rien sans préparation !

Le lendemain, il partait, lui et sa cour, pour la révision annuelle… Au programme, nettoyage, réglage et surtout, détente à l’abri des regards… Il l’avait bien mérité. Il verrait bien à son retour… « Le ciel peut attendre », se dit-il

Pourtant, lorsqu’il s’aperçut que son retour s’était fait non pas dans son laboratoire mais dans une autre salle, le microscope était très remonté ! « Remplacé !!! Ils m’ont remplacé !! » Lui qui se pensait indéboulonnable… « La révolution numérique  a eu raison de nous» risqua une des molettes… « Il faut dire que c’est fou toutes les données que l’on peut mettre dans de si petites cartes ! » réalisa l’objectif. « Ils en ont pris un avec écran, c’est sûr ! Toujours le nez collé aux écrans ! Ils le regretteront… », prédit la tourelle !

La nouvelle pièce dans laquelle il se trouvait était pour lui inattendue…Du jamais vu ! C’était une salle, remplie de bureaux. Il y avait une quinzaine, ni trop grands ni trop petits. Face à chaque bureau, pouvaient venir se glisser deux chaises. Y flottait un parfum doux, une odeur de bonbons à la fraise et de feutres aux bouchons égarés. Les murs, d’un vert pâle, étaient décorés d’une frise historique, d’une photographie d’une feuille de fougère, de tables de multiplication…

Il était donc dans une école… La maîtresse l’avait placé en hauteur, hors d’atteinte des mains collantes. Il voulait lui dire qu’il appréciait l’attention, qu’il serait bien mieux en bas sur une table…Qu’allait-il donc faire, ici, seul et sans même une housse pour le protéger? Mais qui écoute l’avis d’un microscope…
Alors, le temps a passé. Il est resté là, sur son étagère, à ramasser la poussière et à s’en contenter.

Car, la nuit, lorsque tout était calme, que les enfants étaient chez eux, et que le gardien avait bien éteint les néons, il sentait la chaleur de la lune à travers les grandes fenêtres. Et le jour, lorsque la classe recommençait, que les enfants chahutaient, et que la maîtresse racontait l’Histoire, le calcul ou le système solaire, le microscope voyait enfin les étoiles…

©Emilie BERD 03/06/2016

 

16 réflexions au sujet de « LE MICROSCOPE »

  1. elle est jolie cette histoire ! J’appréhendais la fin, j’ai failli oublier que tu étais gentille, il ne pouvait rien lui arriver de bien méchant ! Il est à la retraite, après tout. Il peut se laisser vivre et attendre la quiétude de ces nuits étoilées. bises

    Aimé par 2 personnes

    • Merci Mind The Gap!
      J’avais eu l’idée de ce microscope qui voyait grand, il y a quelques temps…J’ai parfois plein d’idée et pas de temps… En ce moment, pas d’idée mais du temps!
      Merci pour la comparaison, je suis flattée! J’espère ne rien avoir plagié…
      Bisous

      Aimé par 1 personne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.