RENCONTRE AU SOMMET

Une nouvelle journée commençait. A première vue, cela ressemblait au début d’une belle journée d’automne ! C’était la fin, pourtant ! Le froid se glissait profitant de l’étrange hésitation dans le jeu des saisons. Et il n’avait pas gagné la partie ! Entre la fraicheur sèche qui soufflait les joues et les restes d’un été qui papillonnaient, il se faufilait jouant le trouble fête, l’intrus en quelque sorte. Mais c’était son tour, après tout ! Alors, les mains sans gant se gerçaient. Les bouts du nez se glaçaient mais pas assez pour les enfouir sous une écharpe. Le gel s’invitait ça et là. Il n’était pas encore un habitué, et sa découverte sur les pare-brises restait une vraie surprise. L’hiver s’installait tout doucement tandis que les gestes se faisaient beaucoup plus rapides. Plus question de rester dehors à ne rien faire. Plus envie de s’attarder sur une terrasse. Petit à petit, le coin du feu remplaçait le coin du banc sur lequel on rêvassait en été ou au printemps. Parfois, et plus souvent que l’on s’en souvient vraiment, le soleil se donnait dès le matin. Il distribuait sans compter l’éveil, cette émotion qui nous élève lorsqu’il s’offre au regard, même si, de ses quartiers d’hiver, sa lumière rasante éblouissait autant qu’elle réjouissait.

Ce matin là était un matin ensoleillé, justement. Le sol mouillé et l’humidité ambiante laissaient deviner qu’il avait plu…Où ? Quand ? Qui savait ? De toute façon, peu importait puisque c’était terminé. Le ciel était plutôt dégagé. Echappés de quelque cheminée invisible, deux ou trois gros nuages trainaient… A les voir comme ça, au milieu de nulle part, il était clair qu’ils s’étaient égarés ! Devaient-ils aller plutôt au Sud ? Plutôt à l’Est ? Complètement désemparés ! Déboussolés ! Mais il ne faisait aucun doute qu’ils retrouveraient bientôt leur route ! Car aucune brise, aucune bise ne les malmenait ! Et c’est bien connu ! Les nuages savent toujours où aller…A moins que le vent s’en mêle et les tourmente pour s’amuser…Il est coquin, le vent ! Sous prétexte de jouer à colin-maillard, il les fait tourner, tourner…de vraies girouettes ! Ce n’est pas si amusant, d’être ballotté à en être étourdi, de perdre ses repères… Les nuages en sortent essorés, et cela se finit en larmes ! La vie de nuage n’est pas aussi facile qu’il y paraît…Heureusement, ce matin là, il n’y avait aucun vent !

Et, ce matin là, le champ était plongé dans la lumière ! Le fameux champ… Celui qui s’étend des bords du grand lac jusqu’à la base de la montagne…Celui dont les pâturages dessinent une croix, une grande croix, vous savez, qui désigne probablement l’emplacement d’un trésor enfoui…La chaleur dans ce champ, comme une douce main dans les cheveux,  caressait les herbes folles. La terre exhalait un tapis de vapeur. De plus près, on pouvait voir toute cette eau, accumulée dans la pluie et dégagée sans ménagement. De plus près, on pouvait entendre une vraie cacophonie ! Comme la brume fuyait vers le haut, un brouhaha montait du sol.

C’était le bruit d’un rassemblement ! Impossible d’ignorer que tout le monde était là. Pourtant personne ne savait pourquoi. Une rumeur circulait depuis quelques temps, la rumeur d’un jour inoubliable…En tout cas, elles se devaient toutes d’être là ! Les organisateurs les avaient bien prévenues ! Aucun motif d’absence n’était accepté pour cette réunion haut de gamme ! Et cela donnait un curieux mélange ! Une palette extraordinaire !

 Une voix hurlait les ordres sans délicatesse. Le haut-parleur laissait peu de place à la nuance. « En rang ! Mettez-vous en rang !» L’Orange et ses dégradés ne semblaient pas pressés ! Ils avaient entendu des histoires noires, à propos d’un voyage dont nulle ne revenait… Jamais… « En rang, vociférait la voix, nous n’avons pas de temps à perdre ! L’heure du départ approche et après, il sera trop tard ! » Il s’agissait donc bien d’un voyage… Le Violet se mit à pâlir, répétant à qui voulait bien l’entendre « Un départ ! Quel départ ? ». Un petit bonhomme vêtu de blanc se déplaçait dans les rangs : «  Les primaires devant ! ». Le Rouge se mit en colère. Il en avait marre, plus que marre, qu’on le nomme  «primaire » !  Le bonhomme blanc essaya de le calmer « Allons, allons ! Pas de débordement ! Devant et en rang ! » Soudain, pris de panique, le bonhomme fit trois tours sur lui-même « Où sont le Bleu et le Jaune ? Où sont le Bleu et le Jaune ? » Après quelques recherches et un peu d’affolement, il les retrouva goguenards devant une goutte de rosée ! Le Bleu et le Jaune aimaient boire un verre ensemble, mais là ce n’était pas le moment ! « Devant et en rang ! » Le Bleu rétorqua « Indigo pourrait s’y coller pour une fois ! » mais le petit bonhomme blanc ne répondit même pas !

Enfin, en place, le Bleu, le Jaune et le Rouge en tête…La voix du haut-parleur s’adoucit : « N’en déplaise aux réfractaires, aujourd’hui est un grand jour, pour vous comme pour moi ! Et en ce grand jour, parce que le temps nous est compté,  je ne vais pas faire de longs discours ! C’est une grande responsabilité que vous avez ! Le monde vous regarde ! Le lutin blanc vous a expliqué individuellement la procédure pendant que vous vous mettiez en rang! Surtout faites-nous en voir de toutes les couleurs ! »

Une alarme retentit ! Lorsqu’elles virent les petites bulles devant elles, les couleurs se jetèrent dessus et s’agrippèrent fort. Les couleurs chevauchant les bulles s’envolèrent si haut, dépassant la pointe de la plus haute tige, dépassant le toit de la plus haute maison, dépassant presque le sommet de la montagne…

De près, de très près, on pouvait voir ces milliers de petites bulles colorées qui jaillissaient du sol et entamaient une course fulgurante pour toucher enfin le ciel. De loin, d’un peu plus loin, on pouvait voir un magnifique arc-en-ciel au pied duquel était caché un trésor !

©Emilie BERD 05/12/15

35 réflexions au sujet de « RENCONTRE AU SOMMET »

  1. 1022 mots ! Je comprends que tu te sois sentie « serrée » dans les cent mots…
    Mais quelle jolie histoire, ma luciole !
    Un conte que j’aurais utilisé en classe si j’y étais toujours…
    Bisous célestes
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    • Merci beaucoup Célestine ! Que tu penses à l’utiliser en classe me touche !
      J’ai mis un peu plus de temps pour l’écrire que les réels! Je ne ferai pas ça tous les jours, comme dirait l’autre !
      Bisous chère fée

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  2. Quel joli conte Emilie ! Ça commence paisiblement, puis on se sent oppressés comme dans une dystopie et enfin la chute qui réconcilie le ciel et les couleurs ! Après les réels étriqués, tu retrouves la fièvre des grands espaces qui te vont si bien ! 😆

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    • Merci Asphodele! Je suis contente que cela te plaise! Je l’avais présenté à un concours.Il n’a pas convaincu.J’ai de l’attachement pour ce texte, même s’il y a quelques clichés! J’ai de plus en plus d’attachement pour mes petites histoires…C’est normal, Grande Prêtresse ?

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      • Hooo vu le thème, je vois de quel concours tu parles ! Je ne l’ai pas fait cette année car ça ne m’inspirait rien les couleurs (je vis en noir et blanc tout le monde le sait ! 😆 ) ! Moi aussi je m’attache à certaines de mes petites histoires comme tu dis et bizarrement pas à d’autres…quand c’est fini, je passe à autre chose ! Si j’y reviens, en général c’est qu’il me reste des choses à dire ! Enfin, je le vois comme ça, tu sais que ce titre de Grande Prêtresse est très usurpé et sur-estimé !!! 😆

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          • Et j’ai l’impression de tourner au ralenti pourtant ! Mais bon, ce que la vie IRL m’a (re)pris, je ne peux plus le consacrer à tout ce que j’aimerai (et que je faisais avant) ! 😦 Il faut que je fasse une raison ! On a tous nos petites manies avec nos textes et de savoir que l’on n’est pas seul est effectivement rassurant !!! Ou alors plus on est de fous, hein … 😆 😆

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  3. Ha ben voilà, c’est qui qui avait raison pour les réels ?? Rien à voir, ça c’est de l’écrit ma parole ! 😀
    Il y a 3 temps dans ce conte , le début, enfin le premier paragraphe…et si tu veux mon avis, c’est celui là qui pèche dans le récit. la seconde partie, où tu nous mène en bateau, on ne sait pas trop si ça va bien se passer ou pas et la dernière où tu t’amuses avec le bestiaire de la nature et des couleurs…où on se détend et s’enchante?
    Le tout est réjouissant, coloré, bien entendu et doux !
    Après sur un texte court, dans un concours, faut peut-être en mettre plein la vue dès les premières lignes…tu écris souvent en progressif et c’est bien, la tension et l’intérêt augmentent au fil des mots…parfois le départ est un peu plus laborieux…enfin c’est juste mon ressenti hein, rien de plus !
    Bisous et belle semaine. 😀

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    • Et bien moi qui pensais que la fin n’en était pas une…Merci beaucoup pour ce commentaire ! Je n’hésiterai plus à rentrer dans le vif dès le départ « le cas échéant »( comme on dit dans l’administration!).😄
      Juste une précision lorsque tu dis « parfois le départ un peu laborieux », c’est un « parfois » qui veut dire « parfois » ou bien l’as-tu ressenti à « chaque fois »?

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      • Non pas à chaque fois…mais plusieurs fois. Et c’est bien d’avoir cette progression, d’aller vers le plus fort et le mieux mais sur un concours de texte très court, je crois qu’il faut arriver à captiver dès les premières phrases. Mais attention, ce n’est que mon avis, je n’ai pas lu grand chose de toi…je peux me tromper tout à fait 😀 😀 .

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