Les Plumes d’Asphodèle n°46

imageLes mots imposés étaient les suivants :

belle, gardien, lapin, destin, envolée, fermer, souffle, partage, quitter, s’abstraire, voyage, cavale, réchapper, chose, respirer, poète, nid, rêve, vie, doux, fugue, oiseau, imaginer, balles, poudre,  bercé.

Un oiseau chante, ce matin. N’avaient-ils pas annoncé de belles gelées, pourtant ? Il n’y a plus de saison !
Le sommeil a été mouvementé.
Je ne sais pas pourquoi, j’ai fait des rêves curieux…Ce type en seconde à qui j’avais posé un lapin ! Il était plutôt marrant, doux…C’était plutôt platonique mais ma mère ne voulait pas que je sorte… alors, il a poireauté un moment !
Ma première fugue…De fugue, elle n’avait que le sens que celui que mon père lui donna. J’avais juste tardé à la fin des cours pour m’en griller une ou deux…
Et mon premier amour en Terminale A…Un vrai poète ! En plus, il avait une guitare, une gratte à deux balles ! Savait-il vraiment plaquer plus de quatre accords ? J’en doute encore ! Ses maigres talents lui attribuaient pas mal de succès, et la notion de partage qui est somme toute subjective, ne me convenait, dans ce cas, pas du tout !
La fac, je crois que ça a été le pire ! Mais le pire est toujours à venir…Les amphis aux bancs poussiéreux donnaient plus des envies de cavales que de destins académiques !
Puis mon bébé…Sait-on ce qu’est l’amour avant de prendre son enfant dans les bras ? Sait-on ce qu’est la souffrance avant d’acquérir la certitude que, quoiqu’il arrive, on nous séparera ? Le reste n’est que poudre aux yeux finalement. Bercé d’illusions, on en oublie l’essentiel, le cri primal, les bruits sourds de notre chair…
Cette nuit, un ange-gardien serait donc venu me prendre par la main pour m’emmener en voyage à travers mon passé…C’est quoi, cette odeur désagréable ?

Quelle plaie, cet oiseau ! Il m’empêche de respirer ! Ces envolées lyriques me collent une chape sur la poitrine ! Le nid doit être dans la grange. Difficile d’imaginer qu’il chante à tue-tête dehors, avec un froid pareil ! Chanter à tue-tête…Haut et grave parce que l’on a si froid que c’est la seule façon de se réchauffer…Fort et lourd lorsque l’on a si peur que c’est l’unique façon d’en réchapper…
J’ai l’impression qu’il s’approche.

Je suis si fatiguée…J’ai bien compris qu’il s’égosillait pour me réveiller. Je n’arrive pas à ouvrir les yeux. J’aimerai tant dormir encore un peu…un tout petit peu…Il va bientôt manquer de souffle. Il va enfin s’arrêter, si je garde les yeux fermés, bien fermés… Faudrait que je trouve le courage de me lever. Aller boire un verre d’eau. J’ai envie de vomir. Ces relents d’after-shave m’ont filé une migraine ! J’ai du plomb dans la tête.
Pourquoi l’oiseau chante t-il plus fort ? Il faut que j’ouvre les yeux ! Pourquoi cet appareil bipe t-il si fort ? Il faut que j’ouvre les yeux ! A qui sont ces pas sur le sol, ces manches qui me frôlent, ces mains qui me touchent ? A qui sont ces lèvres agitées par cette logorrhée incompréhensible ? Tout ce sang serait le mien…Faudrait que j’arrive à bouger ! Et ce poids sur mes poumons…Peut-être juste un cauchemar, c’est la pleine Lune…Peut-être juste une méprise…Ai-je encore de l’espoir ? Suis-je là depuis longtemps ? Où sont les enfants ? Je n’ai même pas fait de testament ! Je suis si fatiguée…

Je n’avais jamais remarqué comme parfois l’idée de notre propre mort dérange moins…Un flottement qui ressemble à la résignation, un air de sérénité, un murmure d’éternité…Rien à confesser, rien à absoudre, juste le besoin de s’abstraire, de quitter les horreurs. L’impuissance acceptée, la paresse enfin admise…De toute ma vie, au moins, aurai-je terminé quelque chose…

©Emilie BERD 20/11/15

563 mots

45 réflexions au sujet de « Les Plumes d’Asphodèle n°46 »

  1. J’ai envie de redire ce que vient d’écrire Modrone avec qui je suis totalement d’accord ! Ton texte commence doucement, il va crescendo dans la panique et nous laisse en miettes à la fin ! Mais il sonne si juste, avec ton talent et la fluidité des mots ! Oui, je le dis aussi comme Carnets (et en pensant fort à Mindounet) : tu devrais écrire, plus long et plus fort, tu en es largement capable !!! Bises 🙂

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  2. Punaise Emilie, j’ai oublié de te rappeler et à Aspho aussi pour le concours de nouvelles du 20 novembre, c’est trop tard ! Par contre, va vite voir le concours de nouvelles des abeilles de Guerlain, c’est jusqu’au 15 décembre.
    Si je dis ça c’est parce que ton texte est surprenant, original, fort et dur en même temps…bravo encore une fois…tu es douée pour écrire , c’est une évidence, chanceuse que tu es ! Bisous !

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    • Mind The Gap, ce n’est pas trop tard (du moins à ce que j’en ai compris), il faut adresser le bulletin de participation et la nouvelle avant demain 19:00, mais je ne sais pas si je vais réussir à faire quelque chose avec le thème! Je vais essayer si une idée arrive d’ici ce soir…
      Merci beaucoup pour tes encouragements et tes compliments! Je note le 15!
      Bisous

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    • Merci beaucoup Mind The Gap
      J’ai pu envoyer un petit texte (2 pages) dimanche! J’ai participé à mon premier concours ! Grande nouvelle pour moi car jusqu’à présent, dès qu’il y a une compétition disons facultative, je me dégonfle! Peu importe le résultat, je l’ai fait jusqu’au bout!!!!!Merciiiiii!

      Je ne suis pas la seule à être chanceuse, hein?! Bisous

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  3. Un beau texte très grave, c’est vrai, heureusement ce n’est qu’une fiction, tu es bien vivante ma chère luciole. Et tu éclaires mon chemin de tes mots en pépites.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  4. L’unanimité se fait autour de ton texte : tu as un don Emilie ! Le début léger nous fait oublier le contexte puis tu nous prends dans ta main et tu nous emmène vers l’émotion, pour finir par une banderille, une vraie, une pure de celles qui vrillent et qui restent !
    Un grand bravo et mille bises.

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    • Rooo! Merci Monesille! Je suis tellement contente d’avoir pu faire passer ce que je souhaitais faire passer, même si, comme je l’écris à Asphodèle, je n’étais pas satisfaite…Je n’entendais pas assez sa douleur à la fin, mais cela aurait peut-être fait trop…Je ne sais pas si c’est un don. En tout cas, je vais continuer.
      Gros bisous

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  5. Ce qui est difficile, lorsque qu’on arrive après 20 commentaires élogieux, c’est d’être soi-même élogieux sans plagier.
    Ton texte est palpitant, Émlie. Palpitant et haletant. Ce sont les mots qui me viennent spontanément à l’esprit, parce qu’il disent ce que mon corps a ressenti à te lire : cœur battant et respiration retenue.

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  6. Whouah! Whouah! Whouah!… Il en fallait bien trois! Qu’est-ce que tu écris bien. C’est bien construit, bien ficelé, ça commence tout doux et ne fait que monter… tu as UNE plume, c’est indéniable, il faut que tu écrives des histoires – je pense à la publication – tu es une conteuse! Bravo, vraiment. Je t’embrasse.

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  7. Et cet oiseau qui chantait et voulait te réveiller me faisait sourire. Puis l’angoisse s’est installée et ne me quittait plus…elle allait crescendo et ce bip incessant devenait insupportable !
    Bravo Emilie.
    Je suis devant la TV. 2eme manche du slalom coupe du monde de ski à Aspen. La cheminée me donne des vapeurs. Je suis revenue sur les liens mis par Asphodèle, je n’avais pas lu certains textes dont le tien. Bisous

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